Maurice - Le goût des Lettres

Maurice du Parc - Critique au Bulletin des Lettres de 1945 à 1972

Armand Lardanchet, libraire-éditeur de Lyon rassemble en 1945 un Comité de lecture avec une certain nombre d’amis lettrés. Il y a Victor-Henri Debidour, professeur de khâgne, Albert Loranquin, Henri Hours, Bernard Plessis, Henri Rambaud, Georges-Paul Menais, etc… Maurice en fait partie et sera Président du Cercle de Sélection. Chaque mois le Comité se réunit dans un bistro lyonnais bien choisi et chacun repart avec  une pile de livres en Service de Presse. Nous avons les carnets de Maurice de 1945 à 1972 . Chaque mois il fait la liste des 30 livres qu’il a lu, un livre par jour en moyenne. En 27 ans cela représente 9 720 livres. Il lit tout le temps : la nuit, en voyage, pendant les soirées familiales, dans sa retraite de Tire-Gerbe, etc …Il en fait le compte-rendu dans le Bulletin des Lettres mois après moi pendant près de 30 ans. Ses enfants ont hérité de plus de 5 000 livres. L’amitié fut grande avec Armand Lardanchet. Après sa mort Maurice fut le tuteur de ses enfants.

Voici quelques exemples des critiques de Maurice :

J.M.G. Le Clezio – La Guerre, roman. - Il y a des gens qui sont éperdus d’admiration devant le Clezio, devant cet alignement de phrases bien polies et bien venues, devant cet écoulement de mots abracadabrants et bien choisis. Moi pas. Et pourtant il faut reconnaître que cette accumulation et ce flot rendent bien l’image floue et déformée de notre société de consommation qui dérive entre les balises, les balustrades, les péages et les feux clignotants bi ou tricolores.

Henri Charrière – Papillon, récit.Ce « Papillon » vole très loin des fleurs habituelles du et, malgré la caution de Jean-François Revel qui le compare dans sa post-face à Grégoire de Tours et en fait le héros de la littérature orale. Je n’ai pas été transporté par la vigueur narrative de cet ancien du « milieu » que les lauriers d’Albertine Sarrazin ont empêché de dormir dans sa nouvelle vie vénézuélienne. Le livre est énorme, c’est un oreiller commode pour les vacances ; il est écrit avec le manque de style commun à la radio et à la télévision, cela suffit pour qu’on en fasse un succès de librairie et pour qu’une fois de plus on veuille flouer les honnêtes gens en leur faisant croire que le bagne abrite des génies littéraires.

Françoise Sagan – Un peu de soleil dans l’eau froide. Oui, il y a quelquefois un éclair lumineux et chaud dans cette eau fangeuse que Françoise Sagan laisse filer entre ses doigts, lorsqu’elle se penche pour y voir le trouble miroir de notre époque. Peut-être ne faut-il pas désespérer de Françoise Sagan malgré l’agacement produit par la lecture de ses livres puisque ici – et c’était déjà le cas dans la première œuvre qui l’a révélée au public- il semble qu’elle ait trouvé un être véritable fait de chair et de sang, une femme qui aime « pour de vrai », définitivement et sans se reprendre.

Le Bulletin de Lettres à travers la plume de son rédacteur en chef, Victor-Henri Debidour salue ainsi Maurice en mars 1972 :

Depuis tant d’années, il n’était pas de numéro auquel sa plume ne donnait une contribution dont rien ne pourra remplacer l’ampleur, la netteté de jugement, la verve, et pour tout dire d’un mot le ton. Il était des nôtres, de notre amitié, depuis 30 ans. Comme responsable en titre du Comité de Sélection, quelle vigueur n’avaient pas certaines de ses interventions soit pour imposer un livre qui l’avait « emballé », soit pour flétrir tels choix qu’il jugeait mal inspirés ! Ce qui comptait, c’était, dans la rubrique des romans ou celle des livres de biographie et d’histoire, les jugements que lui dictait un esprit libre, encore que décidé : il arrivait à Maurice du Parc de faire le poing dans sa poche, mais non pas d’y cacher son drapeau. Avec un curieux mélange de simplicité et d’orgueil, cet homme qui avait des idées et qui y tenait avec une fermeté que rien ne désarmait, ne se voulait pas un intellectuel, un raisonneur, un discuteur, un doctrinaire – ni propagandiste, ni pédagogue. Il n’aimait pas les professeurs, à qui , lorsqu’il était lancé, il reprochait à la fois leur vain ou mauvais travail et leurs longues vacances…  Et pourtant c’est parmi eux qu’il avait nombre  de ses plus chers amis.

Lettré, il l’était profondément dans un « style » où il ne sera sans doute plus permis à personne de l’être. Parmi ses vocations possibles, il y aurait eu celle d’un militaire, celle aussi d’un géographe. Mais il y avait aussi le liseur : celui par exemple qui connaissait autant qu’homme de France, Madame de Sévigné, Proust, Céline ou Nimier. Celui qui trouvait le temps de chérir comme ils le méritaient les beaux et les bons livres, et de fustiger les mauvais.

Un jour le Président de son club au Rotary lui demande de parler de la lecture à ses amis ce qu’il fait. Voici un passage de sa causerie : « On peut aussi se livrer au jeu de la constitution de la Bibliothèque du naufragé sur une île déserte : c’est la question que des journalistes malicieux et généralement sortis de Normale, s’empressent de poser quand cela leur est possible, aux hommes politiques sans culture (presque tous) pour que ceux-ci se croient obligés de répondre qu’ils voudraient vivre sous un cocotier avec comme seule compagnie, la Bible, Pascal ou Karl Marx.

Sans se poser à soi-même des questions aussi absolues, on peut néanmoins se faire une liste de livres qu’on aimerait pouvoir emporter avec soi et relire au frais. C’est un jeu auquel se livrent de temps en temps journaux et revues.

Pour ma part, j’ai une petite liste des 12 romans – il y en a, bien entendu, 13 à la douzaine – que je voudrais pouvoir relire. Pour être tout-à-fait sincère, cette liste est quelquefois retouchée. Je me risque à vous la livrer, en espérant qu ‘elle aura des affinités avec celle que chacun d’entre vous aura pu composer lui-même avec les romans qu’il préfère, parus depuis le début du siècle. Il y a dan,s ma liste par ordre alphabétique :

-Bourget : L’ÉTAPE

-Colette : LA NAISSANCE DU JOUR    

-Alain Fournier : LE GRAND MEAULNES

-Henri Ghéon : LES JEUX DU CIEL ET DE L’ENFER

-Giraudoux : BELLA

-Valéry Larbaud : AMANTS HEUREUX AMANTS

-La Varende : NEZ DE CUIR

-Malraux : LA CONDITION HUMAINE

-Mauriac (que je n’aime pas) : LE FLEUVE DE FEU

-Proust : (en entier, si l’on a de longues vacances et une malle cabine. S’il faut choisir dans l’œuvre du plus grand et du plus actuel de nos romanciers, c’est je crois LA PRISONNIÈRE que je choisirais).

-Psichari : LE VOYAGE DU CENTURION

-Radiguet : LE BAL DU COMTE D’ORGEL

et, enfin, le 13° de la douzaine :

-Saint-Exupéry : TERRE DES HOMMES.

Permettez-moi aussi d’espérer que vous pourrez dire toute votre vie à l’instar du Président de Montesquieu qui, à la vérité, devait avoir un cœur fort sec : « Je n’ai pas eu de chagrin qu’un heure de lecture n’ait dissipé ».