Alain - La Bataille de 40

Lettre de Yolande à Maurice lors de son voyage sur la tombe d’Alain (1949)

« En arrivant ici, je pensais tant à toi que j’avais l’impression que j’allais te rencontrer – j’étais si émue, si tu savais, c’était affreux. Je n’ai pas eu le courage d’aller au cimetière tout de suite ; j’ai été chez ce bon chanoine et la première chose qu’il me tend, ta dépêche, tu ne sauras jamais à quel point j’ai été touchée, on dirait que tu vis dans mon cœur pour penser à des choses comme ça. Hier, j’avais un tel serrement de cœur que j’ai voulu voir Yanny, il a été très bon, enfin, je t’en parlerai. C’était comme si j’avais peur de venir toute seule, et pourtant, tu sais combien je tenais à le faire ; d’un autre côté, il me semblait qu’il aurait mieux valu venir tous ensemble, mais je sais bien que dans ce cas, je n’aurais pu vivre aussi douloureusement ces heures en souffrant pour notre Puce et en moi, car au fond, ce que je voulais faire, c’est un chemin de croix en sentant le sien et en l’offrant pour qu’il soit heureux chez le Bon Dieu avec Mamy. Je te parlerai de ce cimetière si poignant, je lui ai mis deux primevères que j’avais, mais surtout j’ai donné à cet excellent chanoine des messes pour lui.

Demain, je vais à Landrecies et j’espère arriver jusqu’à Oisy. Tu sais le prêtre dont parlait Zag (Gonzague), le chanoine a trouvé qui c’était d’après la description et je le verrai demain.

Leblond vu très longuement (ainsi que Diedrich) m’a donné tous les détails sur Oisy et dessiné tout le parcours de Puce depuis sa blessure, je te raconterai, il m’a dit encore bien des choses que je ne savais pas si belles.

Je t’embrasse, chéri, comme je t’aime, ainsi que Didi. J’ai bien pensé à elle, il y a un aviateur au cimetière avec Puce. »

Notes de Yolande lors de son expédition sur les traces d’Alain d’après les explications de Leblond Derniers jours d'Alain

19 mai

16h : en sortant du P.C. du capitaine (Oisy), qui était le presbytère, Alain était, comme toujours, avec Leblond ; ils sortent par l’escalier intérieur et la cave. Un premier obus les jette par terre, ils se relèvent indemnes – à peine avaient-ils dit « ce n’est pas encore pour cette fois »  qu’un second obus les projette à nouveau par terre. Alain se relève en disant qu’il est touché. Alain ne veut pas être évacué. Il n’admet pas que Leblond lui ôte sa veste, voulant rester en tenue. Quand Leblond est parti, il a dû sortir de la cave et traverser tout le village.

20 mai

Ses camarades le retrouvent à 2 heures du matin comme ils décrochaient sur Wassigny, debout, appuyé sur un mur ou tas de bois dans la petite cour de la maison du coin.

Il ne dit rien de lui et demande seulement des nouvelles de tous. On lui répond toujours par de bonnes nouvelles pour ne pas lui donner plus d’émotion ; il est tout pâle et a déjà beaucoup saigné. Le capitaine lui dit que tout le monde décroche sur Wassigny, ce qui le décide à se laisser emmener.

Un vieux de 85 ans[1] qui se trouvait là avec quelques autres le 19 mai, toute la population ayant évacué. Je lui ai montré la photo d’Alain, il m’a dit : « Mais je pense bien que je le connais. C’est lui qui m’a mis à la porte de chez moi.J’ai entendu un carreau se briser d’un coup de crosse de revolver et j’ai vu entrer par la fenêtre un jeune lieutenant qui m’a dit : « Qu’est-ce que vous f…. là, mon brave homme » « mais je suis chez moi » «  il faut vous en aller sans cela vous allez vous faire tuer. »

Brevet a été tué à 10 mètres d’Alain, dans le jardin du presbytère. Il est mort sur le coup. Il est enterré là, dans ce petit cimetière militaire qu’on a fait dans ce jardin.

Au poste de secours du 20° RTT - Wassigny

Le médecin veut voir l’état de la blessure. Tout le monde s’y met pour défaire avec peine le garrot fait par Leblond. A peine enlevé, de nouveau, hémorragie qu’on peut à peine arrêter. Le médecin n’ayant rien de ce qu’il fallait, on remet le même garrot. C’est à Wassigny qu’Alain a demandé les derniers sacrements, et aurait répondu à ceux qui lui disait qu’il n’en était pas à ce point : « Je sais bien ce qu’il me reste à faire. ». C’est l’abbé Wolf, vicaire de Saint-Louis de la Guillotière qui l’aurait extrêmisé. Nous l’avons vu en août 40 à Desgenettes avec une blessure à la main, il paraissait assez traumatisé et n'a presque rien pu nous dire. Le capitaine voit passer l’ambulance ; on y met les grands blessés. Ce n’est que sur ses instances formelles qu’Alain consent à être évacué, assis à côté du chauffeur.

Cette ambulance prise par la suite par les allemands revenait vide à Wassigny chercher le reste des blessés.

Hospice de vieillards de Landrecies (sous contrôle allemand)

• Genêt, prisonnier et fou voit Alain couché sur un brancard, tout pâle. Ce fut pour lui un tel choc qu’il est redevenu normal immédiatement..

• Gonzague de Monts, aussi prisonnier, a vu Alain mais n’a pas eu le droit de lui parler. Il raconte que le médecin militaire allemand avait fait un  signe en disant qu’il était perdu.

• Abbé Robert Montaigne (97 rue Pont de Neuville) Vicaire à ND de Consolation Tourcoing (Nord). Il a soigné Alain, se rappelait peu de choses, seulement qu’Alain jouissait d’un régime de faveur, couché dans un lit et dans une chambre à 3, alors que des colonels, et commandants étaient par terre sous la tente qui couvrait la cour. Ceci serait dû, croit-il, aux soins tous particuliers que lui donnait un médecin capitaine allemand (de métier) qui ne cessait de recommander aux infirmiers de le faire boire ; on lui a fait du sérum. L’abbé Montaigne a été évacué sur Avesnes le vendredi matin

• La sœur qui m’a fait visiter l’hôpital et qui n’était pas là pendant la guerre savait qui il était et m’a indiqué le lit et la chaise du « jeune lieutenant ».

• Abbé Bénicourt Vicaire à Landrecies (Nord). Il se rappelait très bien d’Alain et des dispositions qu’il a montrées lui réclamant le Bon Dieu le mercredi. L’abbé lui a apporté la communion le lendemain, jeudi de la Fête-Dieu (23 mai). Alain lui a demandé s’il pourrait revenir le lendemain encore (l’abbé qui allait ce jour-là dans le bâtiment en face est revenu le vendredi lui apporter le Bon Dieu, et Alain lui a demandé de le lui apporter « tous les jours »). C’était le matin de sa mort. Le lendemain, l’abbé ne l’a plus revu. On avait évacué tout l’hôpital.

24 mai

L’abbé Bénicourt l’a trouvé extrêmement calme, ne le croyait pas si malade et, d’après lui, Alain ne le croyait plus non plus, il pensait que sa vie allait se prolonger encore. En fait, l’abbé Montaigne certifie qu’il allait en déclinant et qu’il s’est éteint d’épuisement.

• Médecin de Virieu. Rencontré à Cannes, il me disait qu’il était entré dans la salle d’opération quand Alain en sortait ; le major allemand disant « c’est trop tard, il a la gangrène ».

• Le gardien du cimetière dit qu’il a ses deux bras. C’est lui qui l’a enterré.

Enquête concernant Alain du Parc Locmaria 

À la demande de Monsieur Grésel M. Demangel, Directeur de l’Usine à gaz d’Avesnes a enquêté au sujet du Lieutenant du Parc Locmaria. Ces recherches n’ayant donné aucun résultat dans la région de Landrecies, M. Doueil me demandait d’en faire également à Avesnes.

Avesnes, 26 novembre 1940.

Je me suis rendu directement au cimetière d’Avesnes où j’ai consulté le registre des inhumations. Le nom de l’officier y figure et j’ai reconnu la tombe qui porte le N°1. Dans une bouteille placée sur cette tombe se trouve un papier portant les indications suivantes : du Parc Alain – 1917 – Lyon. Je suis allé ensuite à l’hôpital, où j’ai vu M. le Médecin Chef et les Sœurs infirmières. L’assurance m’a été donnée que l’officier n’avait pas été soigné et n’était pas décédé à l’Hôpital. M. le Médecin Chef a déjà reçu une demande de renseignements émanant de Mademoiselle de Barante, 1 rue du Maréchal Pétain à Compiègne. Il a répondu au début d’Octobre, ayant eu connaissance du décès. A la Mairie d’Avesnes où je me suis également rendu, on ne possède pas d’autres renseignements, si ce n’est que l’inhumation a eu lieu le 22 ou 23 Mai. Il semble que le Lieutenant du Parc soit mort sur la route au cours du transport entre Landrecies et Avesnes et qu’il a été conduit directement au cimetière. Le Receveur municipal, qui détient des papiers et objets ayant appartenu à des militaires inhumés au Cimetière d’Avesnes, ne possède rien qui provienne du Lieutenant du Parc et ne peut donner, lui non plus, aucun renseignement. Au cimetière militaire d’Avesnes (probablement aménagé après la guerre) la tombe d’Alain qui porte la date 23 mai 1940 se trouve entre celle de Cottrel Joseph et d’Abdallah Ben Hellal.

 

Lettre de Jean de Ginestous n°1625 Oflag IV D

à Geneviève de Ginestous, le 16 février 1941

« … Voici des renseignements sur Alain du Parc Locmaria qui s’est magnifiquement battu comme le prouvent les demandes de citation que son capitaine Gridel a faites pour lui. Déjà, en décembre 39, quand nous étions en secteur, il avait été proposé pour la Croix de Guerre et le grade de lieutenant à titre temporaire. Actuellement, il est proposé pour la légion d’honneur et la Croix de Guerre avec trois citations, dont l’une pour avoir été incendier, sous le feu d’armes automatiques, un avion ennemi abattu devant nos avant-postes.

Il y a ici de son escadron son capitaine Gridel dont Yolande connaît l’adresse à Lyon et les lieutenants Jeunet et Leblond. Ce dernier très lié avec Alain et dont l’adresse normale est : Raymond Leblond, lieutenant de gendarmerie en résidence à Savaise par Dreuil-les-Amiens (Somme) à 60 km d’Avesnes où est enterré Alain. Tous les trois l’ont vu après sa blessure.

Gridel a écrit mi-janvier aux du Parc et Leblond a envoyé deux longues lettres à Mlle C., villa de Mazet, quartier Trianon à Antibes, cousine d’Alain (?).

Ceux-ci vus le 20 janvier, il lui donnait, à la demande d’Alain, tous les renseignements en sa possession.

Voici quelques détails succincts :

J’ai vu Alain pour la dernière fois le jeudi 16 mai vers 15h à Berlaimont, à la sortie Est de la forêt de Mornal (40 Km est de Valenciennes). Alain, gonflé à bloc, montait en gants blancs un superbe pur-sang anglais, à la tête d’un peloton de l’escadron splendide de tenue et de discipline malgré les dures étapes que nous venions de faire et le survol de nombreux avions allemands. Il est monté directement sur le canal de la Sambre à l’Oise pour défendre la tête de pont de Oisy appuyé par une de nos batteries. Blessé le 19 mai vers 17 heures assez grièvement au bras gauche, près de l’épaule. Relevé par Leblond qui lui a fait un garrot avec sa cravate, car il avait l’artère coupée. Leblond rejoint son poste après l’avoir déposé dans une cave avec d’autres blessés. Gridel voit Alain le 19 vers 24 heures à Oisy et le fait évacuer de force au poste sanitaire du 13° RI (Neves) qui le fait transporter à Wassigny où Gridel le revoit le 20 vers 10h. Il le fait évacuer par une sanitaire au 5° BDP, prise presque aussitôt par les Allemands qui l’ont transporté à Bohain.

Le lieutenant Jeunet déjà prisonnier a vu Alain le 21, non encore amputé, mais couché sur un brancard et assez faible. N’a pas eu l’autorisation de lui parler. Le 21 mai, Alain a été transporté à l’hôpital d’Avesnes où il dû être opéré le 22. Nous avons eu beaucoup de peine en apprenant la fin tragique de cet ami qui en quelques semaines avait montré le courage et l’ardeur de nos meilleurs officiers de cavalerie. »

 

Lettre de M. P. Tarrit, Général de Division ex-commandant de la 1° DINA à Papa.

Aire sur l’Adour, le 5 Mars 1941,

Cher Monsieur,

Le Lieutenant-Colonel LEVAVASSEUR me communique votre lettre du 27 Décembre, par laquelle vous lui confirmez la mort glorieuse de votre fils, le Sous-Lieutenant Alain du PARC LOCMARIA du 91° GRDI.

Tous les renseignements que j’avais moi-même recueilli laissaient entrevoir, après sa grave blessure à OISY, cette issue fatale mais personne jusqu’ici n’avait pu m’en donner la certitude.

Si j’avais connu votre adresse, je n’aurais pas manqué de vous présenter mes condoléances et mes consolations. La grandeur d’âme avec laquelle vous acceptez le sacrifice que le ciel vous imposa pour le salut de la Patrie, et sa rénovation, m’a arraché des larmes. Je ne puis que m’associer à votre chagrin et vous dire que j’ai fait tout ce qui dépendait de moi, son chef, pour que ce sacrifice reçut, militairement, sa récompense.

Le Sous-Lieutenant Alain du PARC LOCMARIA a été proposé par moi, au début de Janvier, pour le grade de chevalier de la Légion d’Honneur, à titre posthume, avec la citation suivante :

« Jeune officier de cavalerie, superbe de courage, grièvement blessé (bras emporté) à la tête de son peloton, au cours d’une héroïque défense de son point d’appui à OISY le 19 Mai 1940. »

Le Capitaine Gridel qui commandait l’escadron à cheval du 91° GRDI a pu m’écrire succinctement l’historique de la belle défense de ses cavaliers à OISY et à WASSIGNY. Ces faits m’ont été confirmés par le Commandant PIAT du 13° RI qui commandait le centre de résistance. Le Général commandant le secteur fit de cet escadron l’éloge suivant : « Les cavaliers du 91e GRDI (escadron GRIDEL) se sont battus comme des lions. »

Et le Capitaine Gridel m’écrit : « Les Allemands ont reconnu les pertes effroyables que nous leur avons causé devant OISY, j’ai dénombré 300 Allemands tués. »

Puissent, Cher Monsieur, ces témoignages de la vaillance de la superbe troupe à laquelle votre fils avait l’honneur d’appartenir, adoucir quelque peu votre chagrin. J’ai proposé cet escadron pour une citation collective.

Vous dirais-je ma fierté d’avoir été le Chef de tels hommes et mon chagrin que de tels héroïsmes n’aient pas été mieux récompensés. Ils sont une preuve du ressort de notre race.

Nous ne saurions désespérer. La France est plus knock-out que battue. Quand ses fils prisonniers reviendront, elle reprendra sa marche ascendante. Avec des exemples comme ceux que donnèrent aux jeunes générations les Alain du PARC LOCMARIA et leurs frères d’armes, la 1° DINA a eu 23 officiers tués et 49 blessés du 16 au 21 Mai 1940, nos enfants et petits-enfants la referont grande et forte

Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments bien attristés et croire que je partage avec vous le deuil de ce fils tant aimé. Un Général, c’est aussi un père pour sa division.


P.Tarrit

Général de Division

ex-commandant de la 1e DINA




[1] J’ai retrouvé à Oisy le propriétaire de la maison à gauche du pont d’Oisy – M. Sauvage-Viguier, Emile, rue du Canal, Oisy.