Charles (1867-1941) - Le Parrain d'Amérique

Né le 5 mai 1867 et mort  le 9 août 1941[1] à San Francisco (Etats-Unis). Il était le fils de Charles (1833-1888) et de Maria de Bonin, mariés le 25 novembre1863.



“Notre parrain d’Amérique” ...

... je dis notre mais en fait c’était le parrain d’Alain, mais un parrain tellement généreux que Maman, ne voulant pas trop de différences entre ses enfants lui avait demandé de partager ses bienfaits entre ses deux derniers.

Ce qui fait qu’après avoir envié les chevaux à roulettes aussi hauts que nous que recevait Alain, j’ai eu droit à mille gâteries que je ne peux énumérer, mais surtout aux lettres de l’oncle Charles. Il s’était expatrié et après avoir cherché de l’or sans en trouver il préfera s’occuper de l’or des autres et travaillait dans une banque “La Wells Fargo Bank, et passait ses vacances dans les parcs de l’état de San Francisco. Nous avions donc des récits extraordinaires de rencontres avec un ours dont il avait envoyé l’empreinte à Papa comme cendrier, d’arbres phosphorescents de tous les oiseaux qui s’y réfugiaient, avec des couleurs d’arc-en-ciel, enfin de rivières où l’on se baignait et dont on ressortait avec une peau de satin. Enfin des lettres contes de fées nous arrivaient de l’oncle Charles, elles ont émerveillé notre enfance et je ne les ai jamais oubliées.

T.  Lors du voyage d’août 2003 nous avons pu savoir que l’Oncle Charles a été membre du Pacific Union Club, l’un des plus chics de la ville, de 1909 à 1941. Cela permet de dater son séjour. Il habitait au Club. Il était lié avec les familles françaises de San Francisco. J’ai chassé à courre avec les Tristan, il avait fait sauter sur ses genoux leur mère.

VOIR VISITE À WELLS FARGO EN 1961

 

Nous aurions tant aimé le connaître et nous aurions bien aimé qu’il mette à exécution ses projets de retour en France.

Il avait songé à acheter une maison en Bretagne, Papa et Amélonde l’en ont dissuadé lui disant que la politique dont on vivait beaucoup le décevrait trop, et qu’il reverrait la France sous un jour si différent de ce qu’il avait connu.

C’est possible, mais c’est aussi bien triste qu’il soit mort seul et si loin alors qu’il avait un esprit de famille si fort, laissant sa fortune à Papa et aux femmes seules de la famille.

Oncle Charles :

Parrain de l’Oncle Alain

Extrait de ses lettres à Tante Yo ou à Bon Papa (1930-1940)

THE PACIFIC-UNION CLUB - SAN FRANCISCO

L’an dernier nous sommes partis de l’établissement du vieux autrichien Webber à Trinity Alps, pour aller pêcher (pas moi mais 3 messieurs qui faisaient partie de l’expédition) dans 3 lacs qui se trouvaient à 25 kilomètres sur les hauteurs. Les lacs sont au bout d’une vallée fort encaissée et fortement boisée : les seules traces de civilisation sont les restants des travaux hydrauliques entrepris, il y a des années, pour laver des graviers aurifères : ces travaux gigantesques avaient été abandonnés avant d’êtres terminés. Nous étions tous à dos de mulet et sur des pistes à vous donner le frisson tant un des côtés était abrupt descendant vers le torrent qui coulait au fond du val.

Naturellement nous avions des animaux de bât et arrivés au 1° lac, nous avons campé. Les lacs sont en étage, le plus élevé alimentant le second, et celui-ci le 3°, l’eau qui se déverse de ce dernier descend le Steward River qui coule tout le long de la vallée. Quelques jours auparavant le vieux Webber avait envoyé 2 hommes pour arranger un peu le camp, un vieux charpentier à lunettes, fort digne personne et un autre individu qui était certainement la plus étrange figure que j’ai jamais rencontré. Il avait l’air d’un tamanoir, il était tout nez, presque pas de menton, un front fuyant et un crâne minuscule coiffé d’un chapeau de boy-scout qu’il ne quittait ni jour ni nuit. Ses bretelles étaient formées d’éléments divers réunis par des moyens de fortune, tels que fil de fer, épingles, épingles de nourrices, ficelle, morceaux de bride, qui attachaient ce qui existait des bretelles originales, plus un morceau de pneu, de la corde, de l’étoffe verte, la bande intérieure d’un vieux chapeau, un morceau de chaîne, et que sais-je encore.

Pendant que mes compagnons de voyage taquinaient la truite, je me suis installé pour examiner à loisir ce curieux spécimen de la faune locale. Ses actions étaient aussi bizarres que son apparence, elles étaient toutes en tout cas d’une lenteur remarquable : j’allais oublier qu’il avait aux pieds des souliers en étoffe, chose incroyable dans ce pays de rocs aigus et de buissons épineux. Â table cependant cette torpeur disparaissait complètement, et avec une rapidité qui tenait du prodige, il vidait tous les plats, boîtes de conserve, et faisait disparaître tel un prestidigitateur tous les rogatons qui étaient dans le rayon de ses bras.

Tout le monde devait dormir sous le seul bouquet d’arbres du petit plateau où nous étions : mais moi qui ai le sommeil léger, prévoyant un orchestre de ronflement, j’ai été m’installer 100 mètres plus loin sur des rochers que j’ai recouverts de quelques planches.

Le lendemain, mes compagnons ont pris quelques poissons (truites) mais notre guide un splendide garçon du pays qui connaît tous les trucs de la vie en plein  air en a rapporté 96. On a tout mis en caisse dans des feuilles de fougères humides avec quelque peu de neige trouvée dans les endroits ombreux. Le jour du départ en faisant le paquetage des mules quelqu’un s’est avisé de compter les poissons, il n’y en avait plus que 65. Nous n’avons pas de preuves, mais entre nous déclarâmes que c’était l’homme tamanoir qui les avait piqués. Depuis j’ai appris que l’on avait pris au même endroit une martre au piège ce qui montre qu’il ne faut jamais accuser personne sans preuve irréfutable. 

Ici la vie devient fort agaçante par suite de l’attitude du public vis-à-vis des Français qu’ils attaquent vigoureusement et amèrement à cause du non-payment des intérêts des dettes de guerre. J’ai eu sur les bras (c’est une façon de parler) toute la matinée une couturière spécialisée dans les saisies et modèles venus de Paris, où elle se rend toutes les années 3 ou 4 fois. C’est une forte acheteuse de produits français qui sert la clientèle la plus riche de la ville : mais voilà-t-il pas que ces bécasses de femmes viennent lui déclarer qu’elles ne lui achèteront plus le moindre chiffon, si elle continue à faire venir sa marchandise de Paris. La pauvre était toute bouleversée, et j’ai dû trouver une masse de statistiques pour la munir d’armes offensives faites pour convertir cette clientèle à des opinions économiquement plus saines. Tout cet esprit si anti-français est le fruit de manœuvres savantes des Allemands et des Italiens depuis des années. C’est en tout cas assommant de se mouvoir dans un milieu hostile et ce club me devient odieux. Pour me distraire le soir je traduis les dires d’un peau-rouge, « un medicine man » c’est-à-dire un mystique, un voyant fort âgé maintenant et qui a vu le massacre graduel des siens par les Américains. C’est tragique et touchant …


A Yolande  - 23 Janvier 1936

Tes lettres ma chère Yolande me donnent toujours un grand plaisir dont je te remercie, vu que les joies n’abondent point, et d’autre part une peine énorme (récompensée du reste par les résultats) quant à leur déchiffrement. Il est évident que je ne suis pas familier avec ton alphabet, j’ai cru d’abord que tu avais adopté le copte en usage au temps des dernières dynasties pharaoniques : après de durs labeurs dans ce sens, j’ai été obligé de reconnaître que je faisais fausse route, et j’ai abandonné les tomes volumineux de Maspero et les savants lexiques hiéroglyphiques  et démotiques du regretté William Budge, conservateur des antiquités égyptiennes au British Museum. Une étude plus approfondie m’a enfin dévoilé que si les caractères me laissaient stupide (stupide dans le sens employé au XVII° siècle) les mots étaient lyonnais par suite français, et après profonde étude formaient des phrases touchantes dont je me suis délecté.

 

 

LETTRES À BON PAPA (1937)

… secours à la pauvre vieille, l’administration allemande la secoue et lui pose mille questions, ce qui l’affole. Quel triste monde. Naturellement elle a peur de donner des détails qui pourraient la compromettre aux yeux des autorités.

Tu dois être de retour de ton voyage de Saumur, j’espère que tu as trouvé ton rejeton en bonne forme malgré son long silence ; la génération qui a suivi la notre, a de nombreuses bizarreries, entre autre il me semble une horreur profonde pour le timbre poste.

Comment se porte Henry dans ses Charmettes ? Je lui ai envoyé un livre et (un mot) pour charmer ses loisirs : son pessimisme hélas ne peut que croître devant les situations présentes qui ne me semblent qu’empirer, car si tout semble plus calme en ce moment, l’avenir qui se prépare est plein d’abominations.

Marc de T. qui rentre en France pour 6 mois avec sa femme, a été chargé par moi d’envoyer à Yolande la broche (don de Marie-Antoinette à une Choiseul Gouffier ? de là aux Champagne) de Maman que j’avais promise à ta chère Lucy[2]. J’espère qu’elle vous arrivera à bon port, ce bon Marc est un peu pignouf, c’est un fruit de la génération actuelle. Il continue à enrager dans mon patelin avec 2 olibrius arrivistes et d’une culture de primaires.

Adieu mon ami sincèrement à toi

Charles

(plus tard en 1937)

Mon cher ami,

 

Je te remercie de m’avoir envoyé les photos et la bonne lettre qui les accompagne : les photos m’ont attristé, je parle de celles de cette charmante Lucy, quel malheur pour tous qu’elle aît disparu de notre entourage physique, car spirituellement elle est bien près de nous. Par exemple, j’ai été tout au contraire d’attristé, fort réjoui, de recevoir les portaits des deux derniers. Jamais encore je n’avais eu de portrait de Yolande, à l’exception d’un Kodak bien plutôt pris pour XXXX, le « Kelb » à figure hirsute, nommé Boule de Rose, je crois, que la charmante propriétaire. D’après la photo elle ne ressemble à personne que j’ai connu, probablement c’est du côté » des parents de sa mère qu’on peut trouver des ressemblances. Telle quelle je la trouve infiniment charmante, distinguée et sympathique (ce qu’elle est de l’avis unanime). Quant à mon filleul j’ai eu une surprise, le pauvre petit, il a l’air tout gosse encore plutôt enfant de troupe que futur brigadier. De voir sa jeunesse m’a plu, cela me fait oublier que ce filleul a un parrain de 70 ans.

Merci du télégramme et de l’avis contenu : notre agence de changes m’a déclaré que ce que pourrait faire le Consul Général ici ou XXX, allait de pair, mais qu’ils croyaient pouvoir m’assurer que leur banque correspondante à Berlin, feraient l’affaire s’ils le leur demandaient. Sur ce j’ai reçu une lettre par avion (9 jours de Munich à Frisco, c’est bon quand il faut défalquer les jours de bateau) de la pauvre Mlle Marie qui refusait mes services pour cette affaire de saisie, etc… et me disait que son neveu avait fait un arrangement avec la Société dite charitable, qui le montrait si peu. Donc ceci est terminé. Je t’envie ton expédition au Maroc où j’aurais aimé t’accompagner, mais cela serait peut-être un peu dur pour mes vieux os. Expédie moi un récit de cette exploration cela m’intéresse : nôtre délicieux et intelligent gouvernement va nous faire perdre notre empire colonial si quelqu’un avec de la poigne n’intervient pas. Et je ne suis pas le seul à le dire. Mes amis américains à Paris m’écrivent que l’esprit et l’attitude des gens est fort désagréable et hostile. Quel gâchis ! Merci de m’avoir averti du mariage de Maurice, cela m’a permis de lui envoyer un souvenir. Étais-tu aux funérailles de Philippe de L ? Adieu mon vieux, bonne chance.

 

 


 



[1] L’Oncle Charles a été enterré au cimetière Holy Cross de Colma (sud de San Francisco) le 11 août 1941 (Section U, Rang 30, Tombe 47. C’est une concession perpétuelle. T et Cary y ont été en août 2003. C’est très joli et bien tenu. Les san Franciscains disent qu’il y a plus de morts que de vivants à Colma car c’est là qu’on a mis tous les grans cimetières de San Francisco. Chacun son « business » !

[2] Hélas « pignouf » il y a car la broche n’est jamais arrivée à Tante Yo.